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Channel: Comme ça, pour l'air du temps ....
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Le jour se lève au bord de l'étang

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Étang à Chessy-les-Prés (Aube)

Assis tout au bord de l'étang sur un banc de pierre j'écoute parler la brise matutinale qui se lève dans la pâle lueur du point du jour. Les premiers chants d'oiseaux habitent l'espace à peine blafard, cohabitant avec un léger clapotis sur un vieux tronc abattu, paresseusement étendu dans l'eau, presqu'île de fortune, mirador ou garde mangé, c'est selon.

Les arbres frémissent, émus de ce jour qui s'éveille une nouvelle fois. 
L'eau sort de son obscurité et devient miroir timidement voilé de rides tranquilles. 
Sur le banc, une grenouille est venue près de moi pour profiter du levant et peut-être capter sa première proie.
La fraîcheur matinale envahit le lieu sous le regard de l'aube qui, là-bas, au loin par-delà les cimes, dore à feu doux un coin du ciel. 
L'horizon s'étire et s'enfle et se tend maintenant tout entier pour rivaliser avec le feu des arbres. Les nues, gracieusement chargées de cheveux d'anges pompeusement nommés par ailleurs cirrus, pâlissent et s'ornent doucement d'un jaune qui écarte définitivement toute trace de ténèbres. 
Pas de frimas aujourd'hui mais un air cristallin, sec et doux qui lève un voile de brume où je devine, dansante, la transparence d'ondines véloces et d'elfes habiles.

Sous le regard aigu d'un martin pécheur qui vient de se poser sans bruit sur la malingre branche tendue au-dessus de l'eau par un vieux poirier racorni, ma compagne de méditation s'envole d'un saut vers l'obscurité turbide des eaux de la berge pour y trouver refuge et cachette à peine discrète. Le poirier la salue d'un geste faible, lui qui, décharné, fut abattu lentement, mais vers une mort certaine, par la mise en eau de l'étang il y a quelques années.

Tout à coup, juste avant que résonnent les premiers émois du flamboiement céleste, une flamme passe nonchalamment entre mes pieds, émergeant de dessous ma pierre, et chemine comme un feu qui court sous le roux des feuilles abandonnées. Sans aucun bruit la salamandre quitte sa veille nocturne pour gagner d'autres horizons.
Là-bas un couple de colvert émerge des roseaux serrés poursuivi par un foulque qui lâche, pétillants, quelques cri acides dans l'air qui s’illumine.
Je devine les yeux de ma grenouille qui percent la surface de l'étang à mes pieds. Elle aussi semble contempler encore, avec la même sérénité que moi, le calme de ce jardin d'éden.
Avant que le jour ne s'avance comme un conquérant dans l'espace, il me faut le savourer longtemps ce moment de paix. Tout grouille et gargouille, plonge attaque, crie, criaille, souffle, fouille et souille... Tout un monde invisible s'active sur cette scène du grand théâtre de la vie. L'air qui s'échauffe s'allume de fragrances herbeuses colorées de leur palette d'odeurs musquées, fleuries, tourbeuses.
Tandis que les premiers rayons frappent, m'éclaboussant de lumière, me noyant de clarté mieux qu'un chien qui s'ébroue, je vois encore à peine le fin croissant qui s'efface devant l'astre maître, fin croissant de cette vieille lune usée de 26 jours et quelques poussières qui m'avait guidé vers l'est en ce matin aux allures de gloire naturelle.
Apaisé, silencieux, je me relève, me déplie, retrouve mon corps engourdi ; je l'avais oublié celui-ci... la grenouille silencieuse disparaît, une hulotte frôle les roseaux pour gagner sans doute l'abri de son vieux tronc. Sans plus de bruit qu'une flamme, le martin plonge et ressort glorieux, petit déjeuné en bec. Le poisson se débat pour échapper mais un violent coup de tête le rappelle à sa fin en lui brisant l'échine par contre mouvement. Soulevé par le feu de son ventre, le martin, bleu contre bleu du ciel, remonte et s'ébroue. Qui du banc de poisson aura vu la disparition ? Moi je crois avoir reconnu une petite tanche du printemps, mais voilà qu'elle est engloutie directe, tête la première par notre fin carnassier.
Large voilure toute ouverte, un héron surgit au-dessus du taillis qui m'appelle, je le sens comme un ombre entre le ciel et moi. Le temps de me retourner, le voilà qui dans un arrondi majestueux de freinage se pose en silence, presque sans bouger d'eau sur la plage vaseuse où les mammifères cette nuit ont laissé leurs empreintes.

Me voilà riche pour la journée, et ressourcé jusqu'à la racine.
Pas la peine de chercher Dieu, là-haut, loin, placide et barbu, Il était là parmi les gens de l'étang, à batifoler avec sa création, et maintenant, à côté de moi Il me raccompagne.
Je rêve en marchant... et je ferme même les yeux, confiant en la Vie...

(merci à arté pour cette séquence)

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